La culture a pour point de départ le peuple en tant que créateur de lui-même et transformateur de son milieu. La culture, dans son sens le plus large et le plus total, permet aux hommes d’ordonner leur vie. Elle est non pas reçue, mais édifiée par le peuple. Elle est vision de l’homme et du monde, et par là, elle est système de pensées, philosophies, sciences, croyances, arts et langues. Elle est également action de l’homme sur lui-même et sur le monde pour le transformer, et par là, elle englobe le social, le politique, l’économique et le technique. La culture est essentiellement dynamique, c’est-à-dire, à la fois enracinée dans le peuple et tournée vers l’avenir.
Il y a nécessité d’un retour aux sources de nos valeurs, non pour nous y enfermer, mais plutôt pour opérer un inventaire critique, afin d’éliminer les éléments devenus caducs et inhibiteurs, les éléments étrangers aberrants et aliénateurs introduits par le colonialisme, et retenir de cet inventaire les éléments encore valables les actualiser et les faire déboucher sur le moderne et l’universel.
Le colonialisme est un mal que tous nos peuples ont subi et vécu, d’abord sous sa forme la plus destructrice, la « traite négrière », qui a dévasté la quasi-totalité du continent africain, et sous sa forme la plus tangible et la plus insolente, la domination politique dont nous nous efforçons de triompher.
Mais son mécanisme est complexe et ne se résout pas en une simple opération : phénomène économique, politique et social connu le colonialisme est, dans son essence comme dans son esprit, un acte total.
Pour continuer à s’exercer, il lui faut tout en usant de la force et de la coercition se justifier moralement et intellectuellement et étendre son emprise à tous les domaines des activités humaines.
Pour exister en tant que tel, iI doit ajouter à son hégémonie, concrète et matérielle, une emprise sociale et intellectuelle, et spécialement sur les classes dirigeantes sur lesquelles il s’appuie.
II croit alors pouvoir impunément défier les hommes et nier leur essence-même.
Les peuples africains ont cru, ont spontanément senti que la liberté s’identifiait au sentiment national, et que le bonheur et le progrès de nos peuples se construisaient autour de notre distinctive personnalité. Ils ont naturellement admis que la liberté, nation, personnalité sont essentiellement l’origine, le produit de la culture.
La culture est le ciment essentiel de tout groupe social : son moyen premier d’inter-communication et la prise sur le monde extérieur, son âme, sa réalisation et ses capacités aux changements.
Ainsi, la culture, c’est la totalité de l’outillage matériel et immatériel, œuvres d’art, savoir et savoir-faire, langues, modes de pensée, comportements et expériences accumulées par le peuple dans son effort de libération pour dominer la nature et édifier une société toujours meilleure.
Une culture imposée a enfanté généralement un type d’intellectuel africain dépaysé au sien de ses réalités nationales du fait de sa dépersonnalisation et de son aliénation.
L’homme de culture africain, l’artiste, l’intellectuel en général doit se situer dans son peuple et assumer les responsabilités particulièrement décisives qui sont les siennes. Son action doit insuffler la transformation radicale des esprits, sans laquelle il est impossible au peuple d’avoir raison de son sous-développement économique et social. Le peuple doit être le premier bénéficiaire de ses richesses culturelles et économiques.
Mais la culture est la somme des expériences et des expressions concrètes liées à l’histoire des peuples. Il y a donc au regard de la culture, pour ce qui nous concerne, des expressions particulières, caractéristiques de chacune des grandes aires de civilisation. Mais des similitudes profondes et des aspirations communes déterminent notre Africanité.
L’Africanité obéit à la loi d’une dialectique du particulier et du général, de la spécificité et de l’universalité, c’est-à-dire de la vérité à la base et de l’unité au sommet.
La culture africaine, l’art, la science, quelle qu’en soit la diversité des expressions, ne reposent sur aucune différence d’essence. Ce ne sont que des expressions singulières d’une même universalité.
Au-delà des similitudes et des convergences de formes de pensée, au-delà du fonds commun, l’Africanité, c’est aussi un destin partagé, la fraternité du combat libérateur et le même avenir a assumer de concert pour le maîtriser. L’Africanité est faite de la double source de nos héritages communs et de notre communauté de destins, et c’est pourquoi, à l’étape actuelle de notre développement historique, un certain nombre de problèmes liés à l’origine, à l’existence et au développement de notre culture méritent d’être examinés.
La culture est un moyen dynamique d’édification de la nation au-dessus des divisions tribales ou ethniques de l’unité africaine, au-dessus de tout chauvinisme.
La culture, création du peuple, peut être confisquée par une classe dominante. Or la culture doit être la recherche permanente de la conscience créatrice du peuple. Pour cela toute politique culturelle africaine doit être fondée sur la nécessité de permettre au peuple de s’informer, de s’éduquer, de se mobiliser, de s’organiser pour se rendre responsable de son héritage culturel et de son développement.
La conservation de la culture a sauvé les peuples africains des tentatives de faire d’eux des peuples sans âme et sans histoire. La culture les préserva. Il est bien évident qu’ils veulent désormais qu’elle leur serve à prendre le chemin du progrès et du développement car la culture, cette création permanente et continue, si elle définit les personnalités, si elle relie les hommes entre eux, impulse aussi le progrès.
Voilà pourquoi l’Afrique accorde tant de soins et de prix au recouvrement de son patrimoine culturel, à la défense de sa personnalité et à l’éclosion de nouvelles branches de sa culture.
II eût été commode pour certains, et confortable pour d’autres, qu’à l’indépendance politique nous ne mettions ni conditions, ni prolongements ; nous aurions pu nous contenter de cela et emprunter pensée, langage et art à ceux qui avaient eu la chance de poursuivre un développement interne harmonieux. Nous aurons pu ainsi nous contenter d’un passé culturel folklorique, d’une « culture du pauvre », et renoncer finalement à notre vraie liberté et à nos réelles indépendances.
Mais les peuples colonisés n’ont jamais renoncé à leur identité profonde.
La langue nationale joue en cela un rôle irremplaçable; elle est le support, le véhicule de la culture, le garant de sa base populaire au stade de sa création et à celui de sa consommation.
Notre souveraineté recouvrée, c’est un devoir essentiel et premier que de revaloriser nos langues nationales, celles héritées de nos pères, sans pour autant mettre en cause l’unité profonde de nos nations.
La langue est un des instruments de la vie des peuples, à la dimension de leur génie.
Evoluant avec eux, elle ne saurait leur être retirée sans les amputer, sans les blesser, sans les handicaper.
Néanmoins, pour survivre et pour combattre, une partie de nos peuples a dû apprendre la langue de nos colonisateurs.
Il n’y a pas de langue qui, au départ, soit plus apte qu'une autre à être le support de la science et du savoir. Une langue traduit et exprime ce que les hommes vivent et pensent. A partir du moment où notre développement fut interrompu, où nos cultures furent niées ou bafouées et l’enseignement de nos langues souvent interdit, il est évident qu’il nous faut redoubler d’efforts pour faire des langues africaines, des instruments efficaces de notre développement.
L’analyse de nos réalités culturelles nous fait découvrir les éléments dynamiques de la vie des peuples dans leurs aspects tant spirituels que matériels. Parmi ces éléments, qui constituent notre irréductible personnalité africaine, il convient de souligner ces valeurs qui sont parvenues jusqu’à nous, malgré les vicissitudes de notre histoire et les tentatives de dépersonnalisation du colonialisme. Il s’en dégage une éthique qui révèle chez nous un sens inné et profond de la solidarité, de l’hospitalité, de l’entraide, de la fraternité, le sentiment d’appartenir à une humanité.
Dans nos langues africaines, ces valeurs, cette éthique, nous les retrouvons dans nos littératures orales ou écrites, dans nos contes dans nos légendes, dans nos dictons et nos proverbes qui sont les véhicules de la sagesse et de l’expérience vécues de nos peuples. Nos cultures africaines, porteuses de savoir et de spiritualité, sont une source intarissable d’inspiration pour nos arts et pour nos lettres. Nos artistes pourront y puiser des thèmes dynamiques dans lesquels nos peuples se reconnaîtront.
La connaissance de notre histoire établira scientifiquement les fondements de notre personnalité, et par là-même, elle sera un facteur de progrès en nous permettant de prendre nos mesures et de sonder nos possibilités.
Les modes d’organisation de la société africaine sont, pour nous, des enseignements qui nous permettront d’être nous-mêmes, tout en accédant au monde moderne.
L’ingéniosité, de nos techniques démontre, s’il en était besoin, nos possibilités créatrices. Notre existence et notre présence culturelle s’attestent enfin par nos arts, nos peintures, nos sculptures, nos architectures, nos musiques, nos chants, nos danses, nos théâtres.
Cette culture, longtemps condamnée par le colonialisme à l’exotisme et vouée à la solitude des musées, se veut aujourd’hui l’expression vivante du monde. Ce monde dans lequel nous voulons prendre place, l’avenir que nous avons mission d’édifier sont dominés par les problèmes du développement et du progrès.
Nous réaffirmons que notre culture serait inopérante si elle laissait en marge la science et la technologie contemporaines. Elle se veut donc un apport personnel et original au sein d’une seule et même permanence, d’une même dynamique de progrès et de révolution Sociale.
Rôle de la culture africaine dans la lutte de libération et l’unité africaine
Il est du devoir des Etats africains de répondre à une colonisation totale par une lutte totale pour la libération.
L’unité de l’Afrique trouve son fondement d’abord et surtout dans l’Histoire. Sous la domination coloniale, les pays africains se sont trouvés dans la même situation politique, économique, sociale et culturelle. L’entreprise de domination sur le plan culturel a entraîné la dépersonnalisation d’une partie des peuples africains, falsifié leur histoire, systématiquement dénigré et combattu les valeurs religieuses et morales, tenté de remplacer progressivement et officiellement leur langue par celle du colonisateur, afin de les dévitaliser et de leur enlever leur raison d’être.
De ce fait, au niveau de la masse, la culture africaine, freinée dans son développement a trouvé refuge dans sa langue, dans ses mœurs, chants, danses, croyances, etc… Et, malgré son amoindrissement, elle s’est révélée un rempart vital de résistance à l’intrusion coloniale et a témoigné ainsi de la pérennité de l’âme africaine.
La colonisation a favorisé la formation d’une élite culturelle acquise à l’assimilation, ayant accédé à la culture coloniale, la soutenant même et lui servant de caution. Ainsi, une grave et profonde rupture s’est produite entre l’élite africaine et les masses populaires africaines.
Seule l’adhésion aux concepts de liberté, d’indépendance, de nation, a permis de situer le conflit dans son contexte réel. Le dépassement de la dualité culturelle a été possible avec les mouvements de libération, les guerres d’indépendance et l’opposition ferme et irréductible à l’asservissement colonial. Le combat de l’Afrique a fourni les cadres, à la fois matériels et spirituels, à l’intérieur desquels la culture africaine allait pouvoir s’épanouir, prouvant ainsi l’interaction dialectique naturelle entre les luttes de libération nationale et la culture.
Pour les pays africains qui se sont libérés ou pour ceux qui sont en conflit armé avec les puissances coloniales, la culture a été et demeure une arme de combat. Dans tous les cas, les luttes armées de libération ont été et sont par excellence, des actes culturels.
L’expérience des mouvements de libération démontre que l’intégration des intellectuels aux masses populaires confère une plus grande authenticité à leurs œuvres et dynamise par là-même la culture africaine.
L’accession à l’indépendance véritable, comme les luttes armées en cours, ont permis une renaissance culturelle ; le combat libérateur, sous toutes ses formes, est apparu logiquement comme une constante de l’Africanité culturelle. Celle-ci est une réalité essentiellement fondée sur les hommes issus d’une même terre, vivant sur le même continent, voués inéluctablement, de par le processus nécessaire de décolonisation à tous les niveaux et de libération globale, au même destin, malgré les particularités nationales ou régionales.
Parce qu’elle est liée au même combat, parce qu’elle est facteur de libération nationale, continentale, parce qu’en définitive elle est le ressort premier et final de l’homme et que, seule, elle est susceptible de constituer le premier fonds de résistance aux menaces qui pèsent sur l’Afrique, cette Africanité est dépassement du cadre national ou régional.
Les nécessités présentes de l’Afrique exigent de la part de l’artiste et de l’intellectuel un engagement ferme à l’égard des principes fondamentaux et des aspirations libératrices de l’homme africain. Le nouvel acte culturel doit se situer au centre du nouveau combat pour l’authenticité et le développement des valeurs africaines.
La politique culturelle du néo-colonialisme impose une critique objective et concrète de notre situation culturelle présente. L’analyse des aspects encore négatifs de cette situation a amené le néo-colonialisme à concevoir une forme d’action concertée nouvelle qui, si elle n’est plus violente, n’en est pas moins néfaste et dangereuse, parce que nuancée et insidieuse, pour le développement et l’avenir de la culture africaine.
Les dangers qui menacent notre culture sont réels qu’il s’agisse de la perpétuation des normes et des modèles étrangers sur les plans moral, spirituel, esthétique, philosophique, ou qu’il s’agisse de schémas de pensée dans le domaine des institutions et de la politique.
Le front de la culture doit donc succéder au front de la résistance, car la culture reste la force vive essentielle de la nation, la sauvegarde de notre existence et l’ultime réserve de notre lutte.
Ainsi, seule l’Africanité pourra être le germe d’une résurrection et d’un nouveau départ pour un humanisme africain d’avant-garde, confronté avec les autres cultures, il trouvera sa place dans l’humanisme universel et en procédera. Les artistes, écrivains et intellectuels, doivent, s’ils veulent être au service de l’Afrique, s’en inspirer.
L’indépendance totale est donc la condition première de l’épanouissement de la culture au service des masses populaires.
Rôle de la culture dans le développement économique et social de l’Afrique
Héritiers d’une civilisation millénaire, riches de potentialités économiques insoupçonnables, nous sommes prêts aujourd’hui à poursuivre dans le recouvrement total de nos personnalités le combat qui nous mena à nos indépendances.
L’affirmation de notre identité profonde et la gestion, au profit de nos peuples, de nos richesses matérielles nous permettront de participer activement, en partenaires libres et libérés, à l’édification de la civilisation universelle.
À la fois représentation d’un style de vie, d’une économie et de rapports sociaux déterminés à un moment donné de révolution humaine, la culture forme un tout avec la vie politique. Création permanente et continue, expression de la pérennité des peuples, la culture africaine entend bien ainsi se mettre au service de la libération de l’Afrique du colonialisme sous toutes ses formes, de toutes formes d’aliénation, tout comme au service de la promotion économique et sociale de nos peuples. Assurée et vécue par les masses, elle devient un élément moteur de développement économique et social et force de transformation du milieu.
Une société, une culture peut rester elle-même, tout en accédant au développement économique, à condition de faire sa part au nécessaire.
Or, faire sa place à la technique et à la science est nécessaire, comme à la rationalité économique, comme à la prévision et au temps. Et ceci parce qu’aucune culture n’est passivement opératoire. Pour mettre ses ressources au service du développement, elle a besoin de se vivifier, de s’actualiser au contact de la technique qui tend à créer une civilisation universelle. Une société doit tout à la fois garder son essence, sous peine de se dissoudre, et son efficacité, sous peine de perdre tout moyen d’existence et d’autonomie. Elle persévère et s’adapte par un travail dialectique constant d’apport et de don entre la culture nationale et les valeurs universelles.
Il est absolument nécessaire, par ailleurs, de veiller à la défense et à la préservation de la personnalité et de la dignité africaines. Mais ce retour et cette référence constante aux sources vives de l’Africanité doit se garder d’une expression complaisante et stérilisante du passé, mais bien au contraire impliquer un effort novateur, une adaptation de la culture africaine aux exigences modernes d’un développement économique et social harmonisé.
Libérer la société africaine des conditions socio-culturelles qui entravent son développement, débarrasser la culture africaine des facteurs aliénateurs en l’intégrant en particulier dans une action de masses, tels sont les objectifs retenus.
Pour développer des capacités opératoires, la culture africaine, fidèle à son authenticité doit se vivifier et s’actualiser au contact de la science et de la technique, car si la civilisation technicienne progresse par accumulation, la culture le fait par création et fidélité. Tous les moyens pour y tendre doivent être mis en œuvre.
II s’agit pour l’Afrique de rattraper un retard qui est d’abord culturel, ce qui suppose :
- Une conversion des mentalités vers le monde de l’objet, de la quantité du rationalisme scientifique ; le rôle de l’Ecole peut être déterminant, bénéfique ou néfaste selon l’importance qu’on aura accordée aux disciplines techniques.
- L’action du pouvoir politique dans le sens d’une authentique révolution des esprits.
- L’effort collectif des membres de la communauté, ce qui n’est possible que si les citoyens assument réellement leur destin dans un climat de liberté et de bonheur.
Outre l’arabe qui, depuis quelques années déjà, est une langue de travail à l’O.U.A., il est souhaité que des études soient entreprises pour la promotion d’autres langues africaine de grande diffusion.
Faire des langues africaines des langues écrites et le véhicule de la pensée scientifique, assurer le libre accès de tous les enfants d’Afrique à l’enseignement, l’alphabétisation des adultes et la promotion des femmes, voilà des tâches immédiates qui s’imposent à tous.
Tout retard dans la refonte du système éducatif actuel a pour conséquence un retard dans la formation des cadres nationaux et justifie la poursuite de l’assistance technique et culturelle étrangère.
Il faut sortir de ce cercle vicieux aussi rapidement que possible, car le maintien prolongé de cette assistance risque de prendre la forme d’une domination à peine déguisée. ‘
L’enseignement supérieur a pour mission principale de former les cadres nécessaires à la production économique et culturelle et ces cadres ont besoin de se faire comprendre des travailleurs et des masses populaires. Il faut, là où cela est possible, que cet enseignement soit donné dans la langue nationale. Ces tâches seront d’autant mieux remplies qu’elles s’appuieront sur les moyens d’information de masse appartenant à l’Afrique (radio, télévision, cinéma, théâtres et centres culturels au niveau des entreprises) et sur la multiplication des échanges et des manifestations culturels.
Ces valeurs nous permettront d’affronter sans frustration ni aliénation, les transformation inévitables que devront subir nos sociétés dans le processus du développement. On utilisera celles qui sont capables de favoriser le progrès économique et de mobiliser les masses en suscitant en elles 1’enthousiasme nécessaire aux grandes entreprises collectives.
Dans cet effort gigantesque de récupération du patrimoine culturel de l’Afrique et d’adaptation aux exigences de la civilisation technicienne, 1’artiste, le penseur, le savant, l’intellectuel ont un rôle qui est de contribuer dans le cadre d’une action de masse, à faire ressortir et connaître la communauté d’inspiration et le fonds commun qui constituent l’Africanité.
D’une manière plus générale, l’Afrique devra reprendre ses modes de connaissance, ses modes de communication et les actualiser aux fins d’en faire de puissants moyens de domination de la nature et du développement harmonisé de la société africaine:
De même il nous appartient de nous éviter l’écueil de la recherche futile et formelle de la culture d’agrément qui mène à l’isolement stérile et à un esthétisme décadent.
Il convient notamment de s’efforcer par des mesures systématiques et appropriées d’enraciner davantage notre jeunesse dans les réalités culturelles africaines, afin qu’elle en comprenne les valeurs profondes, et pour mieux l’armer à résister à certaines manifestations culturelles démoralisatrices, tout en la préparant à s’intégrer à la masse de nos peuples.
Ainsi donc, la culture africaine, fidèle à elle-même et puisant aux sources profondes de sa richesse et de son génie créateur, entend non seulement défendre sa personnalité et son authenticité, mais aussi se faire l’instrument au service des masses dans la libération de l’Afrique de toutes les formes d’aliénation, un instrument au service d’un développement économique et social harmonisé. Elle réalisera ainsi la promotion techno-industrielle de l’homme d’Afrique mais aussi un humanisme vivant et fraternel, éloigné du racisme et de l’exploitation de l’homme par l’homme.
La culture, force décisive dans le développement économique et social, constitue pour nos peuples le plus sûr moyen de rattraper notre retard technique, donc économique, et la force la plus efficace de notre résistance victorieuse au chantage impérialiste.
Dès lors, il devient nécessaire et urgent de libérer l’Afrique de l’analphabétisme, de promouvoir une formation permanente des masses dans tous les domaines, de développer en elles un esprit et une attitude scientifique, technique et critique de rendre la culture populaire effectivement opératoire.
Tous ces efforts doivent tendre vers une révolution dans l’activité culturelle en Afrique.
Le caractère populaire de notre culture doit inclure une conception spécifique, tant dans1’organisation scientifique et la rationalisation de nos activités productives que dans le mode d’approbation des moyens de production (terre, ressources naturelles, industrie etc…) et le mode de répartition des produits.
L’Africanité doit se manifester d’une façon concrète et tangible dans la conjugaison de nos forces et de nos ressources naturelles nationales pour la promotion d’un développement économique et social, culturel, continental, accéléré et harmonisé.
Suggestions et propositions
Pour l’utilisation dynamique dans la vie actuelle des peuples africains des éléments la culture africaine, le symposium propose :
- Renforcer et intensifier les activités culturelles de1’Afrique, en rendant plus actif et plus régulier le fonctionnement de la commission de l’O.U.A. pour l’éducation, la culture, la science et la santé ;
- Créer des revues culturelles éditées dans les langues de travail de l’O.U.A. et si possible dans d’autres langues africaines ;
- Elaborer un corpus des arts et une encyclopédie du continent africain et promouvoir dans les pays membres de l’O.U.A. des associations de beaux-arts et l’édition d’une encyclopédie de l’art et de la littérature ; créer dans les universités des chaires d’enseignement des valeurs et réalités de la culture africaine ;
- Promouvoir et harmoniser les recherches dans tous les domaines de la médicine traditionnelle et de la pharmacopée africaine, afin de les moderniser en leur donnant des bases scientifiques et en les dépouillant de leur caractère ésotérique et empirique pour en faire une source d’enrichissement pour la médecine moderne : promouvoir, encourager et coordonner la recherche en Afrique ;
- Créer un Institut panafricain du cinéma. L’Afrique doit en effet créer dans ce domaine son langage propre et choisir les moyens appropriés pour rendre ce langage accessible au peuple. Les Etats africains doivent donc s’organiser pour la production, la circulation, la distribution d’œuvres cinématographiques et lutter contre les monopoles qui bloquent le développement d’un cinéma authentiquement africain ;
- Créer des maisons d’édition et de distribution de livres, de manuels scolaires, de disques et presse en Afrique, de manière à lutter contre les spéculateurs des marchés et à en faire des instruments populaires d’éducation. Le Symposium appuie la décision de l’O.U.A. de créer une Agence panafricaine de presse pour intensifier l’échange d’information entre les pays africains :
- Mettre en place des organismes appropriés pour permettre l’insertion des arts africains dans l’industrie et l’entreprise ;
- Protéger la propriété intellectuelle des Africains par une législation appropriée ;
- Engager toutes les démarches nécessaires, y inclus par l’intermédiaire des institutions internationales, pour récupérer les objets d’art et les archives pillés par les puissances coloniales, prendre les mesures nécessaires pour arrêter l’hémorragie des biens culturels qui quittent le continent africain ;
- Multiplier les échanges culturels par des expositions, des colloques, des séminaires, des rencontres de jeunes, de femmes, de travailleurs, d’intellectuels, de militants et de responsables pour une plus grande compréhension mutuelle ;
- Organiser une assistance technique et économique intra-africaine :
- Promouvoir l’utilisation et l’enseignement des langues nationales, nécessaires à l’expression authentique de la culture africaine comme outil populaire de la diffusion de la science et de la technique ; organiser des concours d’inventions techniques pratiques faites par des Africains, afin de stimuler l’esprit de création dans le domaine technologique ;
- Réformer l’enseignement à tous les niveaux de façon à lui donner les moyens efficaces pour remplir sa mission de promotion et de développement des peuples africains. Le contenu de cet enseignement, les méthodes et les manuels scolaires doivent tenir compte de nos réalités nationales, de la nécessité de renforcer notre unité et notre solidarité par une meilleure compréhension réciproque ;
- Traduire dans nos langues les œuvres littéraires, historiques, philosophiques et scientifiques qui constituent le patrimoine commun de l’humanité ; encourager la traduction des œuvres africaines dans les langues étrangères ;
- Encourager et développer dans le continent africain un artisanat échappant aux spéculations mercantiles ;
- Associer plus activement et plus massivement les femmes et la jeunesse africaine à la conservation, à la transmission et à l’épanouissement de notre patrimoine culturel ;
- Créer des prix destinés à récompenser les productions les plus authentiques et les plus utiles des artistes et des écrivains africains ;
- Susciter une action plus soutenue en faveur des mouvements africains de libération nationale en vue du renouveau artistique, politique et idéologique ;
- Prendre conscience et faire prendre conscience aux masses populaires et à l’opinion internationale de la valeur et de la portée du combat de libération nationale ;
- Mettre en relief et propager largement par tous les moyens de diffusion dont disposent les Etats Africains, les données réelles des luttes de libération ;
- Accorder aux mouvements de libération africaine la possibilité de participer concrètement au sein des institutions de culture africaine à l’action culturelle unifiée ;
- Permettre, entre les différents pays, la circulation et l’étude des expériences africaines dans les domaines de la décolonisation culturelle sous toutes ses formes : histoire, langue, enseignement, etc…
- Donner à l’Afrique et à son Histoire la primauté sur les plans de la recherche, des rencontres entre experts et hommes de science africains dans les programmes des établissements scolaires et universitaires ;
- Apprécier les œuvres africaines selon les normes propres au continent et selon les impératifs de la lutte de libération et de l’unité. Créer à cette fin en Afrique des institutions culturelles appropriées ;
- Encourager les créateurs africains dans leur mission de refléter les préoccupations du peuple afin de combler le fossé creusé et maintenu par l’aliénation coloniale entre les élites intellectuelles et les masses populaires ;
- Rétablir la vérité historique par les artistes et intellectuels africains. Ceux-ci, en participant au combat de leur peuple, pourront aussi aider aux combats libérateurs en les faisant connaître en Afrique et en dehors de l’Afrique ;
- Faire participer le peuple dans les décisions, l’organisation et la gestion en matière économique, sociale et culturelle ;
- Accorder au peuple la détermination du mode d’appropriation de toutes les ressources naturelles et des principaux moyens de production ;
- Traduire l’Africanité dans :
- L’unification du mouvement syndical africain ;
- Le développement des organisations de masse (jeunesse, femmes, etc…) ;
- Promouvoir un programme de coopération technique inter-africain, pour pallier notamment les ravages de la « fuite des compétences »;
- Faire accéder tous les enfants, d’une façon effective, à la scolarisation primaire sans distinction de sexe, de race ou de religion ;
- Alphabétiser les adultes d’une façon massive et fonctionnelle ;
- Développer les moyens culturels permettant d’accéder le plus directement aux masses (cinéma, théâtre, radio, télévision) ;
- Créer, au niveau des campagnes et des entreprises, des unités culturelles susceptibles de :
- Diffuser les connaissances scientifiques du patrimoine africain et mondial ;
- Diffuser les connaissances scientifiques élémentaires.
- Stimuler les activités culturelles dans les zones rurales par l’utilisation des moyens d’information de masse ; construire des musées pour enrichir intellectuellement les populations des zones les moins développées ;
- Recenser les folklores africains et les diffuser au sein des masses ;
- «Panafricaniser» et régionaliser les universités et les instituts techniques, lieux de rencontre de la jeunesse. Ces centres de culture devront permettre à tous les étudiants africains de poursuivre leurs études dans les conditions les meilleures ;
- Instaurer entre les Etats membres de l’O.U.A. un système d’échanges de documents et d’expérience en matière d’éducation de masses ;
- Echanger des programmes à caractère économique, social et culturel entre radios, télévisions et cinémathèques africaines, en utilisant en particulier l’Union des Radios et Télévisions Nationales d’Afrique (URTNA) ;
- Organiser des séminaires culturels inter-régionaux, des expositions de peinture et d’objets d’artisanat en vue d’encourager le développement économique et social de notre continent ;
- Contribuer au projet de l’Histoire générale de l’Afrique entrepris par l’UNESCO.
Publié par : La rédaction @média AfroPolitis.com
Source :Souffles
Crédit : La Dépêche d'Abidjan[in Linkedin]
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