Ouattara II sera-t-il pire que Ouattara I ? On pouvait faire le pari que n’ayant plus rien à « conquérir » dès lors que son deuxième (et ultime) mandat, il jouerait la carte du prince magnanime et réconciliateur, même par pur orgueil et désir d’inscrire son nom dans l’Histoire. A la lecture de l’interview qu’il a accordée au Monde, à l’AFP et à RFI, on est obligé de faire preuve de lucidité. Le maître d’Abidjan, à qui la gouvernance unilatérale et autoritaire a tant réussi, n’a absolument pas l’intention de changer de fusil d’épaule.
Un incroyable mépris contre ses opposants
Alassane Ouattara n’entend pas négocier quoi que ce soit avec ses adversaires politiques. En témoigne la désinvolture inouïe avec laquelle il les insulte. Qu’on se le dise : Koulibaly, Banny et Essy ont été président de l’Assemblée nationale, premier ministre ou ministre des Affaires étrangères « par accident ». D’ailleurs, ils ne représentent « rien dans leurs partis ». Celui qui prétend être le président de tous les Ivoiriens a-t-il vraiment besoin de descendre aussi bas ? Bien sûr, comme à son habitude, il vilipende son prédécesseur Laurent Gbagbo dans cette interview. Assez cyniquement, il lui reproche quasiment les gouvernements d’union qu’il a été contraint d’accepter, alors que lui faisait partie du consortium qui exerçait, avec le soutien de la « communauté internationale », des pressions pour qu’il en soit ainsi…
Un refus de toute opposition qui ne soit pas réduite à sa plus simple expression
Pour mieux compromettre Pascal Affi N’Guessan, qui lui a pourtant rendu un fier service en acceptant de « l’accompagner » dans un scrutin truqué d’avance, Ouattara le couvre de louanges paradoxales. Il le décrit comme « l’adversaire qui a une base politique », avant de prophétiser que « le FPI sera bientôt vidé de sa substance » parce qu’Affi N’Guessan « permettra d’avoir une opposition modérée ». Il aurait dit « opposition faire-valoir » que sa pensée aurait été restituée au mieux. En réalité, Ouattara ne tolère « l’opposition » que si elle l’aide à construire sa légende.
Rattrapage ethnique : un mensonge éhonté
« Je n’aime pas parler de rattrapage ethnique. Quand je suis arrivé, pour tous les postes sensibles, nous avons lancé des appels à candidature », affirme Ouattara face à ses intervieweurs étrangers. Il n’y a rien de plus faux. En dehors du poste de patron de la RTI qu’il cite, quel autre a été octroyé à la suite d’un appel à candidatures ? La Douane, les Impôts, le Trésor comme sous Gbagbo ? Non. La police, la gendarmerie, les renseignements ? Non. Les directions d’entreprises publiques ? Pas plus.
Justice des vainqueurs : Ouattara s’embourbe dans une conception étrange du « flagrant délit »
Même un étudiant en première année de droit le sait. « Le flagrant délit ou délit flagrant (venant de l’expression latine In flagrante delicto) est une situation où une personne est prise sur le fait au moment de son infraction ou immédiatement après et en possession d’indices démontrant sa participation à cette infraction » (Source Wikipedia). Mais Alassane Ouattara le PhD ne le sait pas.
Il s’accroche à ce concept pour justifier l’inique instrumentalisation de la justice contre ses adversaires politiques. Si les « pro-Gbagbo » ou considérés comme tels sont mis aux arrêts alors que les tueurs de son régime sont en liberté (voire promus), c’est parce qu’ils ont été pris en « flagrant délit ». L’enquête sur la mort du général Guei a-t-elle été ouverte en mars 2015, soit plus de 12 ans après les faits ? C’est du flagrant délit, on vous dit. L’ordre juridique ivoirien indique que la procédure de flagrant délit prévoit un procès en comparution immédiate. Ouattara explique que les assassins supposés du Français Yves Lamblin et des autres victimes du « crime du Novotel », en avril 2011, ont été pris en « flagrant délit ». Pourquoi ne sont-ils pas encore jugés quatre ans et demi après les faits ? Cet homme n’est pas sérieux !La réconciliation ? Il s’en fout !
Le plébiscite mensonger qu’il s’est fabriqué donnera à Ouattara un argument de plus pour trouver un solide terrain d’entente avec ses adversaires politiques. La Côte d’Ivoire se résume quasiment à lui et à ses partisans, si on l’en croit. « La réconciliation politique se réglera toute seule, car notre coalition représente plus de 85 % des Ivoiriens et le FPI sera bientôt vidé de sa substance », ose-t-il. Et il fait un étrange lapsus. « Aujourd’hui, je peux dire que je ne crois plus du tout en ces gouvernements d’union. Je suis un libéral et qu’est-ce que j’aurais à faire avec des gens du FPI qui sont socialo-marxistes ? Si c’est le prix à payer pour qu’il n’y ait pas de réconciliation politique, je suis prêt à le payer », dit-il. Prêt à payer POUR QU’IL N’Y AIT PAS DE RECONCILIATION POLITIQUE ? « Tout acte manqué est un discours réussi », disait le psychanalyste Jacques Lacan.
Après avoir verrouillé son élection, Ouattara veut verrouiller sa succession
Le dit-il pour envoyer un signal à ses amis français, qui en savent beaucoup plus que les Ivoiriens sur son bilan de santé ? Ou alors pour rassurer son épouse Dominique, obsédée par la préservation des gigantesques acquis financiers du « clan », en cas de trépas subit de son homme ? Ouattara se montre en tout cas soucieux d’organiser sa succession. Bien sûr, il n’entend pas construire un écosystème politique démocratique et pacifié pour prémunir le pays d’une nouvelle plongée dans le chaos.Il a l’intention de faire comme Félix Houphouët-Boigny avec Henri Konan Bédié, c’est-à-dire de nommer un dauphin qui finirait éventuellement son mandat, histoire de contrôler l’administration et la caisse avant un éventuel scrutin confirmatif, verrouillé comme ils savent l’être dans les démocratures françafricaines. Dans la nouvelle constitution qu’il veut faire adopter par référendum, Ouattara va créer un poste de vice-président. « Si après trois ou quatre ans, ça va bien, pourquoi ne pas demander à un vice-président de prendre les choses en main ? J’ai vu que partout où il y a des postes de vice-président, cela a bien marché. Au Ghana et au Nigeria, quand le président est décédé, cela a bien marché. En Afrique du Sud, quand Thabo Mbeki a été évincé, c’est le vice-président qui a pris le relais », dit-il. Cette annonce est également avantageuse parce qu’elle permet au numéro un ivoirien de s’assurer la fidélité des ambitieux de son camp, qui auront compris qu’il vaut mieux lui plaire afin d’être choisi dans le cadre de la succession monarchique que des esprits qui se sont décidément arrêtés de fonctionner au XXème siècle veulent « ressusciter »…
Auteur: Théophile KOUAMOUO
Journaliste, éditorialiste, blogueur, entrepreneur, j'espère en une Afrique à la fois souveraine, prospère et démocratique.
Source: mondafrique.info
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