Depuis le 28 janvier 2016, avec l'ouverture du procès de Président Laurent Gbagbo, la Cour pénale Internationale (CPI) alimente les conversations des observateurs de la scène politique internationale et des africains de toute génération. Nous sommes parfois surpris de l’innocence avec laquelle les questions relatives à son impartialité sont abordées. Nous pensons que le contexte de sa création, son mode d'organisation et son fonctionnement peuvent nous éclairer.
1- Historique et fonctionnement
Si l'idée de la création d'une cour de justice qui prendrait en charge les crimes contre l'Humanité et les crimes de guerre remonte à 1872, au lendemain de la guerre franco-prussienne et son évocation en 1937 à la SDN et en 1948 à l'Assemblée générale des Nations-Unies, c'est en 1995 que débute sa véritable aventure.
Tirant leçon du fonctionnement des tribunaux , en particulier le Tribunal de Nuremberg, créé par les Accords de Londres du 8 août 1945 qui définissent les notions de crimes contre la paix, crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, ceux de l'ex-Yougoslavie et celle du Rwanda[1], la CPI est mise en place :
La Cour pénale internationale est une juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées de génocide, de crime contre l'humanité, de crime d'agression et de crime de guerre.
Le 1er juillet 2002 marque l'entrée en vigueur du Statut de Rome [2].
À ce jour, 29 affaires sont portées devant la CPI. Elles relèvent de 9 pays : République démocratique du Congo, Ouganda, République centrafricaine, Soudan, Kenya, Côte d'Ivoire, Libye, tous situés en Afrique.
Il est remarquable que les USA, la Chine, Israël, presque tous les États arabes ne font pas partie au statut de Rome.
Les États-Unis ont signé avec 180 pays, l'ABI [3], accord bilatéral d'immunité par lequel les États-Unis obtiennent l'immunité pour leurs ressortissants dans tous les Etats signataires. Il s'agit d'un contournement pur et simple de la CPI pour les ressortissants américains.
2-Analyse
2-1 Fin de la guerre froide et Retour à l'ultra-libéralisme
La fin de la seconde guerre mondiale marquée par la conférence de Yalta entre les vainqueurs a fait place rapidement à la constitution du monde en deux blocs concurrents autour des Etats-Unis et de l'Union soviétique [4]. C'est l'Europe qui matérialise cette compétition qui se solde par la mise en place de démocraties populaires d'une part et du bloc ouest d'autre part. La politique du containment menée par le président Truman pour freiner l'expansion russe et la formation de l'OTAN sont des signes visibles de la bipolarisation du monde. Le monde s'installe ainsi petit à petit dans une forme d'équilibre de la terreur entre les deux super puissances, c'est la guerre froide.
Elle est notamment marquée par l'existence de zones d'influence des vainqueurs de la seconde guerre mondiale.
En 1985, avec l'arrivée au pouvoir de Gorbachev et la mise en œuvre des réformes en union soviétique[4] le déclin de l'Union soviétique est palpable. L'effondrement marqué par la dislocation de l'URSS entraînant la chute du mur de Berlin met fin à la guerre froide.
S'ouvre alors une nouvelle ère. C'est le grand retour au capitalisme triomphant sous la[4] forme d'un ultra-libéralisme. C'est la globalisation qui n'est rien d'autre que la mise en conformité de tout aux normes américaines puisque les États-Unis s'imposent désormais comme hyperpuissance.
2-2 Opportunités économiques : ouverture des marchés
Avec le déclin du bloc communiste, les perspectives économiques s'annoncent intéressantes pour peu que les marchés soient tous ouverts à la compétition pour nos champions de l'économie de marché.
Les marchés importants se trouvent dans les pays en développement principalement en Afrique et au Moyen-orient. Sont essentiellement visés, les services et les matières premières dans les secteurs stratégiques. Ces politiques sont actionnées au détour des programmes d'ajustement structurels (PAS) par les institutions de Bretton-Woods, Banque mondiale et fonds Monétaire International (FMI). Il s'agit de libéraliser tous les secteurs encore étatiques. Sous le prétexte de la compétitivité économique, tous les marchés sont soumis à la concurrence internationale. Par ce biais, on organise la liquidation du patrimoine de toutes les entreprises publiques des états en développement. Par exemple en Côte d'Ivoire, la privatisation des télécommunications a permis à France-télécom, alors entreprise publique de prendre le contrôle, par sa filiale France câbles et radio, de Côte d'Ivoire Télécom, l'opérateur historique dans le domaine des télécommunications[5].
Par avance, on sait qu'une telle entreprise peut susciter des résistances de toute sorte. C'est pourquoi, l'occident prévoit les instruments juridiques permettant d'encadrer une telle opération qui prend parfois des allures d'un banditisme d’État.
2-3 Outils de la conquête
Dans cette perspective, il faut préparer le terrain à la conquête de marchés nouveaux par la mise en place d'instruments devant servir à les encadrer.
- Le droit d'ingérence[6]
C'est une notion très ancienne d'origine anglo-saxonne (humanitarian intervention qui date du XIX è siècle) relancée par Bernard Kouchner, ministre français des affaires étrangères pour évoquer un droit d'assistance humanitaire.
C'est entre 1988 et 1991 qu'on situe sa ré-appropriation par l'ONU.
- La création de la CPI
La CPI n'est donc pas mise en place pour mettre fin aux crimes contre l'humanité, puisque c'est les nations qui commettent ces crimes qui sont membres du Conseil de sécurité des Nations Unies avec droit de veto. Il n'est donc pas surprenant que par l'ABI et des mécanismes divers, leurs ressortissants ne peuvent être jugés par la CPI. Sa création obéit d'avantage à des objectifs de conquête géostratégiques.
- Une grande campagne médiatique est organisée pour présenter celui qui est au pouvoir comme un dictateur afin de légitimer l'attaque terroriste ultérieure;
- Une attaque des institutions de la République est organisée par une bande armée ; généralement, les combattants sont en majorité composés d'étrangers ;
- La Communauté internationale présente les terroristes comme une opposition armée ;
- La Communauté internationale indique qu'il n'y a pas de solution militaire et que le pouvoir doit discuter avec son opposition ;
- Pendant les combats, on s'organise pour obtenir une résolution des Nations-Unies pour intervenir afin d'éviter que le dictateur s'en prenne aux civils ;
- Généralement, le président en poste est menacé d'être traduit devant la CPI.
- Les media français organisent un lynchage médiatique, présentant le président Gbagbo comme un dictateur .
- En 2002, la France et ses alliés organisent un coup d’État qui échoue et se transforme en une rébellion qui bénéficie du soutien médiatique, diplomatique et militaire de la Communauté internationale.
- Dès l'échec du coup de force, les forces armées de Côte d’Ivoire organisent la libération de Bouaké, ville dans laquelle se sont réfugies les putschistes en fuite, pour y former un kyste. Prétextant l’évacuation de ses ressortissants, la France s’interpose et met en place un corridor de sécurité. C’est le début de la scission du pays en deux.
La France indique, par son ministre de la défense, qu'il n'y pas de solution militaire et organise une table ronde pour régler la crise. Cette table-ronde aboutit au gel du pouvoir politique de Laurent Gbagbo au profit de la rébellion à Linas-Marcoussis. C'est d'ailleurs pour bien marquer cela qu'elle fait entrer au Gouvernement de la République de Côte d'Ivoire des hommes dont certains sont à la limite de l’illétrisme. Elle fait entériner les résolutions par les Nations-Unies à la conférence de Kleber. C'est par ce mécanisme que Paris dirige la Côte d'Ivoire puisque c'est elle qui organise les rebelles et a aussi l'initiative de toutes les résolutions des Nations-Unies.
- C'est à ce moment déjà que le Président Compaoré au sortir d'une concertation avec les autorités françaises annonce que Gbagbo devrait être traduit devant la CPI.
- Lorsque le président Gbagbo lance une offensive le 04 septembre 2004 pour reprendre le contrôle sur l'ensemble du territoire ivoirien, la France prétexte d'une attaque d'un camp militaire français pour casser tous les aéronefs ivoiriens puis obtient une résolution des Nations-Unies pour empêcher le pays de se réarmer. En pleine crise post-électorale, la contre offensive de l'armée ivoirienne étant de nature à ruiner définitivement les espoirs des rebelles, la France et ses alliés prétextent du bombardement d'un marché à Abobo pour obtenir une résolution de l'ONU permettant aux forces de l'OTAN de bombarder la résidence officielle du président Gbagbo, pour « détruire les armes lourdes » et protéger ainsi les civils ivoiriens.
- Le 11 avril 2011, les forces impérialistes finissent par faire arrêter le Président GBAGBO pour le remettre aux rebelles et installent Alassane Ouattara au pouvoir. Depuis cette date, la France reprend le contrôle total de l'économie ivoirienne. Un vaste programme de privatisations est mis en œuvre. C'est dans cette optique que nous situons les problèmes du coût de l'énergie électrique en Côte d'Ivoire. En effet, c'est dans une telle position qu'on peut comprendre aisément la prorogation du contrat frères Bouygues- État de Côte d'Ivoire pour l'exploitation du gisement CI-27 jusqu'en 2024, alors qu'il devrait être rétrocédé à l’État. C'est d'ailleurs, ce processus qui permet à ces deux frères Bouygues d'empocher indûment 100 milliards par an en vendant aux ivoiriens leur propre gaz. C'est un des résultats visibles obtenu par le réajustement de politique coloniale opéré par la France en Côte d'Ivoire en 2011.
- La Banque Africaine d'Investissement
- Le Fond Monétaire Africain
- La Banque centrale africaine
- Depuis très longtemps, la presse occidentale présente le guide libyen comme un terroriste.
- Une rébellion naît à Syrte en février 2011.
- Les diplomates occidentaux indiquent que les rebelles portent les revendications légitimes du peuple libyen et que le guide libyen doit discuter avec eux.
- Dès le 3 mars 2011, la CPI annonce l'ouverture d'une enquête visant le guide libyen et son entourage.
- Lorsque les troupes gouvernementales reprennent le contrôle de la quasi-totalité du territoire libyen, le Conseil de sécurité vote le 17 mars 2011, la résolution 1973 autorisant le recours à la force contre les troupes gouvernementales pour « protéger les populations civiles » Les forces coalisées (France,Grande-Brétagne, USA…) entrent en scène de façon directe aux côtés des rebelles
- Finalement, le guide libyen est capturé et remis aux autorités du CNT qui l’assassinent.
- [1]Nations-Unies – Le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie
- [2]Statut de la Cour Pénale Internationale
- [3]ABI:Projet de résolution après rapport de la commission des questions juridiques à l’Assemblée parlementaire du conseil de l’Europe, 24 juin 2003
- [4]Le capitalisme d’État en URSS de Staline à Gorbatchev – Tony Cliff, Edition l’Atelier, 1990 – Gorbatchev, les ouvriers et la Perestroïka – Luc Duhamel
- [5]Libéralisation des télécommunications en Côte d’Ivoire- Wikipédia, Côte d’Ivoire Telecom
- [6]Le principe juridique d’ingérence humanitaire n’existe pas. Eric Pourel, la revue géopolitique
3- Mise en œuvre des conquêtes géopolitiques
3-1 Discours et méthodes.
Quelles sont les caractéristiques communes à toutes ces opérations ?
C'est en s'appuyant sur ces deux instruments que l'OTAN intervient pour installer le nouveau pouvoir. Une fois installé, le nouveau pouvoir traduit les autorités légitimes à la CPI pour crime contre l'humanité. Les rebellions sont donc devenus la nouvelle méthode de réajustement de politique coloniale, depuis la mise en place des processus démocratiques. Ce sont donc ces instruments qui vont permettre de planifier les guerres de conquête de l'OTAN en Côte d'Ivoire, et en Libye.
3-2 : Mise en application : Cas de la Côte d'Ivoire et de la Libye.
Essayons de comprendre pourquoi ces deux états ont fait l'objet de conquêtes coloniales.
3-2-1 La Côte d'Ivoire
La Côte d'Ivoire est le moteur de l’économie ouest africaine. Elle a joué un rôle clé, sous Houphouet-Boigny, dans le giron de ce qui est convenu d'appeler aujourd'hui, la françafrique. Depuis 1990, date de la rupture du consensus politique et la ré-instauration du multipartisme, et un peu plus tard en 1993 au décès du président Houphouet, le pays est en proie à l'instabilité politique. Après un coup d’État en 1999 et une transition politique marquée par l'adoption d'une nouvelle constitution et une élection présidentielle, Laurent GBAGBO, l'opposant historique d'Houphouet-Boigny est élu en octobre 2000. Laurent GBAGBO , prône le souverainisme alors que La France et ses alliés rêvent d'un retour aux paradigmes de gouvernances d'Houphouet qui mettent le pays en sous-traitance de gestion auprès de la France.
3-2-2 La Libye
Au plan national, le guide libyen Muhammar Kadhafi a réussi à faire passer la Libye d'un Etat complètement arriéré à une nation prospère grâce à un système politique, la Jamahiriya. Le Colonel Kadhafi joue depuis des décennies, un rôle moteur dans la mise en place d'institutions africaines autonomes. Il finance fortement l'Union Africaine, prône l'Unité du Continent sous la forme des États-Unis d'Afrique pour laquelle il travaille à la concrétisation de 3 projets d'une importance capitale :
Son action la plus remarquable fut le lancement du satellite africain pour permettre aux états africains d'être désormais maîtres de leurs communications et de leurs systèmes d'informations. Le guide libyen a participé à hauteur de 80 % des 377 millions de dollars nécessaires pour sa mise en œuvre du projet dans le cadre de RASCOM, organisation regroupant 42 états.
Il fallait mettre fin à toutes ces ambitions qui devraient permettre à l'Afrique de couper l'essentiel de ses liens néocoloniaux et lui éviter d'être à la merci des occidentaux. Muhammar Kadhafi constituait, pour ainsi dire, une menace aux ambitions hégémoniques de l'occident sur l'Afrique.
Dès le 1er septembre 2011, une réunion du groupe de contact est présidée par Nicolas Sarkozy et David Cameron et réuni d'autres responsables de l'OTAN à Paris pour s'entendre sur le partage des richesses de la Libye
.Conclusion
Nous avons montré que, bien que la mise en place d'une cour pénale internationale et le droit d'ingérence humanitaire soient deux notions relativement anciennes, leur remise à l'ordre du jour obéit à la volonté de l'OTAN de mettre en place des instruments pour réaliser des conquêtes territoriales pour des raisons économiques et/ou stratégiques. C'est pourquoi, dès la fin de la guerre froide, l'idée de de création de la CPI et le recyclage de la notion de droit d'ingérence ont préoccupé l'OTAN.
La CPI est donc dans un rôle de soutien à des opérations de conquêtes géostratégiques. Il faut éviter de penser qu'elle peut jouer son rôle affiché qui est de juger pour crimes contre l'humanité des responsables qui s'en seraient rendus coupables.
L'adoption du droit d'ingérence et la création de la CPI forment le couple d'instruments qui permet à l'OTAN de mener ses guerres d'expansion économique.
Notes