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[ Afrique ] La femme est exclue du savoir, de l'avoir et du pouvoir, par Clotilde OHOUOCHI

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Voici une communication de l'ancienne ministre ivoirienne et vice-présidente du FPI à l'intention d'un groupe d'étudiants africains de l'ILERI (Institut Libre d’Étude des Relations Internationales), regroupés au sein de l'association Trust Africa. C'était à l'occasion de la Journée Internationale de la Femme. Table-ronde organisée par l'association Trust Africa. Thème central : « Assurer la paix et la sécurité en Afrique » Sous-thème : « Le rôle des femmes dans le processus décisionnel »

Je voudrais remercier votre jeune association, Trust Africa et sa dynamique présidente pour cette invitation que je considère comme une marque de considération. Le sujet proposé par votre table-ronde reste, plus que jamais, d’une brûlante actualité. Parmi les nombreuses interrogations qu'il appelle, je retiendrai celles qui suivent et autour desquelles je propose de bâtir mon intervention. Qu'est-ce qui explique la faible représentation des femmes dans les sphères de prise de décisions ? La question du genre et l'implication des femmes dans les processus de résolution des conflits peuvent-elles être efficaces pour l'abolition des conflits? Quelles décisions doivent-être prises au plan international, étatique et sociétal pour une plus grande implication des femmes dans le processus décisionnel ?

En dépit d’une reconnaissance de la femme en tant qu’actrice du développement, son rôle et sa place dans la sphère politique restent sous‐estimés même si de plus en plus d’initiatives de femmes ou en faveur des femmes voient le jour. Les femmes sont peu présentes dans les sphères de prise de décisions, notamment, en matière de médiation, de prévention et de résolution des conflits. Bon nombre de pays africains sont ravagés par des guerres et des conflits meurtriers. Ces conflits sont généralement interprétés sous un prisme ethniciste, qualifiés de conflit ethnique, par les analystes internationaux. En effet, le moindre conflit, en Afrique, est vu sous l'angle ethniciste ou présenté sous un schéma manichéen et caricatural d'un Nord musulman et un Sud chrétien.

Or, l'Afrique étant un enjeu stratégique et économique primordial pour les grandes puissances, il n'est pas illusoire d'inscrire l'implication de celles-ci dans les causes des conflits en Afrique. Le cas de la Côte d'Ivoire où l'on a assisté, au printemps 2011, à une intervention armée disproportionnée des grandes puissances coalisées pour le règlement de la contestation électorale en est une illustration patente. Les conséquences de ces guerres récurrentes, quelles que soient leurs origines, sont extrêmement désastreuses sur les populations: traumatismes physiques, sociaux et psychologiques, tissu social durablement lacéré, jeunesse traumatisée, populations cloisonnées et enfermées dans leur tour de haine réciproque, de rancoeurs et de désir de vengeance.

Dans de tels contextes, comment arriver à retrouver la cohésion sociale afin de bâtir un avenir de paix et de concorde. Comment faire pour éviter de retomber dans une nouvelle ère de violences et de souffrances ? En un mot, comment guérir les blessures ouvertes ? Et quel rôle la femme africaine, mère, épouse, fille de ceux qui se battent ou se sont battus, la femme africaine qui souffre le plus de ces tragédies, peut-elle jouer dans les processus de règlement des conflits et de réconciliation ?

La situation des femmes pendant les moments de crises mérite qu'on y prête beaucoup d'attention. Elles sont les premières victimes. Les femmes et les enfants représentent plus des ¾ des 40 millions de personnes déplacées à la suite de violents conflits. Le Programme d'Actions de la 4e Conférence des Nations-Unies sur les Femmes (Béijing 1995) reconnaît que: «S'il est vrai que toutes les communautés subissent toutes entières les conséquences des conflits armés, les femmes et les petites filles sont particulièrement touchées». Elles sont victimes de violences, d'agressions sexuelles et de sévices pendant les guerres. Le viol est devenu une arme de guerre redoutable (en RDC) et même les soldats des forces de maintien de la paix s'y livrent également ou poussent les femmes à la prostitution. Le Conseil de Sécurité de l'ONU a été obligé, à cet effet, d'adopter, le 19 juin 2008, une résolution qui exige de «toutes les parties à des conflits armés, qu'elles mettent fin à tous actes de violences sexuelles sur les civils».

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Sur le pan économique, les femmes qui sont la plupart du temps les actrices du secteur de l'agriculture vivrière et du petit commerce verront leurs outils de production détruits. Devenues veuves et chefs de ménages, elles sont confrontées à la gestion des charges familiales dont le cas des enfants nés des viols est source de graves traumatismes psychologiques. Il est donc fondamental que les femmes qui sont les premières victimes de ces conflits soient des actrices de paix et de réconciliation. Mais qu'entendons-nous par l'expression «résolution des conflits» et dans un sens plus spécifique, «réconciliation»? Empruntons la définition du mot réconciliation à l'évêque Desmond Tutu : « Examiner le passé douloureux, le reconnaître, le comprendre et par-dessus tout, le transcender ensemble, voilà le meilleur moyen de garantir qu'il ne se reproduise et ne puisse se reproduire ».

Transcender ensemble ! Le mot «ensemble» est important et permet de comprendre ce que recouvre le concept de réconciliation.

La réconciliation est donc le cheminement grâce auquel la société s'éloigne d'un passé de divisions pour se rapprocher d'un avenir partagé. Il faut savoir qu'aucune entreprise de développement n'est possible dans une société profondément déchirée où les relations humaines sont gâchées par la peur de l'autre, la méfiance et la suspicion. La réconciliation est donc vitale. Mais comment y parvenir ? Il n'y a pas de remèdes miracles ni de recettes universelles, de solutions rapides. Chaque peuple doit puiser en lui-même ses ressources propres à pardonner et à vouloir tourner la page.

Quel rôle peuvent jouer les femmes africaines dans cette entreprise ? Etant entendu que ce sont elles qui portent la vie, les femmes peuvent jouer un rôle prépondérant dans les processus de réconciliation. Dans la société traditionnelle africaine, elles jouent le rôle discret de conseillères. L'adage qui dit «la nuit porte conseil» en est l'éloquente démonstration. Elles peuvent, par leurs conseils avisés et surtout leurs actions positives, amener les protagonistes à la raison. Au Rwanda, après le génocide de 1994, les femmes ont été les premières à s'entraider. Elles ont été les premières à partager leurs terribles expériences. Tout commence par cela. Oser en parler. Ne pas s'enfermer dans sa douleur et comprendre que l'autre, en face, a aussi souffert. Quand les femmes hutu réfugiées sont rentrées d'exil, certaines organisations de femmes ont initié un accueil de solidarité spontané sans considération d'ethnies. Ceci n'exclut pas, évidemment les sentiments de haine qui subsistent mais ces quelques actions positives ont montré qu'il est possible de rebâtir la paix dans la confiance et la solidarité. Cependant, au niveau des Etats africains, des réticences subsistent à intégrer les femmes dans les sphères de prises de décisions, malgré la ratification des instruments juridiques internationaux en la matière. On note une faible implication des femmes dans les processus de paix et, d'une manière générale, une présence insignifiante dans toutes les sphères de prise de décisions. La situation de la femme africaine est résumée par le constat amer qu'en fait l'éminent professeur Joseph Ki-Zerbo: «La femme est exclue du savoir, de l'avoir et du pouvoir».

Exclue du savoir parce qu'en Afrique, c'est chez les femmes qu'on rencontre le plus fort taux d'analphabétisme. Exclue de l'avoir, parce que la pauvreté s'est féminisée. Exclue du pouvoir parce que les femmes sont presque absentes des sphères de prise de décisions. C'est la théorie du serpent qui se mord la queue, une espèce de cercle vicieux. De la décennie de la Femme instituée par l’ONU entre 1975 et 1985 à la Conférence de Beijing en 1995 jusqu’à son évaluation en 2005 lors de la rencontre Beijing +10 à NewYork, la question genre a pris une place de plus en plus importante dans les rencontres internationales sur le développement humain. Si l’égalité des sexes reste un thème toujours d’actualité, le débat évolue vers celui du rôle de la femme comme actrice du développement et notamment dans la prévention, la médiation et la résolution des conflits.

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Dans ce domaine, l’un des actes politiques les plus marquants de ces dernières années au niveau international a été le vote de la résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée le 31 octobre 2000, sur les femmes, la paix et la sécurité. Cette résolution réaffirme non seulement la nécessité de faire respecter les droits des femmes en tant que victimes des conflits, mais également encourage les institutions, les mécanismes nationaux, régionaux et internationaux pour la prévention, la gestion et le règlement des différends, à faire en sorte que les femmes y soient davantage représentées. Cette résolution novatrice (la résolution 1325) reconnaît que le maintien et la promotion de la paix et de la sécurité exigent la participation des femmes aux prises de décisions et appelle tous les acteurs à adopter une perspective tenant compte de cette recommandation. Cette résolution demande également au Secrétaire Général de l'ONU d'augmenter le nombre de femmes parmi ses envoyés spéciaux dans les missions de paix. A titre d'exemple, la représentante du Secrétaire Général de l'ONU en Côte d'Ivoire, est une femme, Mme Aïchatou Mindaoudou. La communauté internationale reconnaît donc qu'il faut augmenter la participation des femmes dans les processus de règlements des conflits.

Les femmes africaines ont un rôle de premier plan à jouer dans l'édification d'une paix durable. Mais pour une participation efficiente des femmes dans les différents processus de paix, un certains nombre d'actions et de décisions doivent être prises au niveau des Etats :

  1. Mettre en application les recommandations internationales en faveur des droits des femmes
  2. Favoriser la participation des femmes aux tables de négociations;
  3. Promouvoir des mesures de discriminations positives à l'égard des femmes pour l'égalité des chances, dans tous les domaines de prise de décisions;
  4. Accroître le soutien financier aux femmes dans leurs activités génératrices de revenus pour lutter contre la pauvreté;
  5. Favoriser la scolarisation de la petite fille;
  6. Impliquer davantage la société civile en particulier les associations de femmes dans leur rôle de formation, de suivi et d'encadrement de la femmes africaine vers plus d'autonomie. Parce que les droits des femmes sont au service de l'épanouissement de la société tout entière. La place qu'on leur fait est révélatrice de l'état d'un pays, de sa maturité démocratique comme de sa modernisation économique.

Par Clotilde OHOUOCHI

Auteur: Clotilde OHOUOCHI, ancien ministre de la République de Côte d'Ivoire / Vice-Présidente du FPI (Front Populaire Ivoirien)

Clotilde OHOUOCHIClotilde OHOUOCHI est ancien ministre du gouvernement ivoirien, et vice-présidente du FPI. Elle est l'auteure de deux ouvrages intitulés L'ASSURANCE MALADIE UNIVERSELLE (AMU) EN CÔTE D'IVOIRE et CÔTE D'IVOIRE : ON IRA JUSQU'AU BOUT !, parus chez l'Harmattan.

Source : legrigriinternational.com

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