« Mon pays est devenu un laboratoire de l’austérité et l’expérience a échoué », a déclaré mercredi 8 juillet Alexis Tsipras, le premier ministre grec, devant le Parlement européen. Emilio Morenatti / AP"
Grèce : la cure d’austérité la plus longue que la zone euro ait jamais connue
La dette n’est pas la seule pomme de discorde entre Athènes et les autres pays européens. Il y a aussi l’austérité. Celle que les Grecs ont rejetée lors du référendum du 5 juillet. Celle, surtout, que le pays a appliquée depuis 2010. « Mon pays est devenu un laboratoire de l’austérité et l’expérience a échoué », a déclaré mercredi 8 juillet Alexis Tsipras, le premier ministre grec, devant le Parlement européen.
Du côté des pays baltes, l’argument passe mal. L’Estonie, la Lettonie et la Lituanie se sont infligé une violente cure de rigueur avant d’entrer dans l’euro, respectivement en 2011, 2014 et 2015. Pourquoi Athènes refuserait-elle de fournir les mêmes efforts ? Sans parler de l’Irlande et du Portugal, également passés sous assistance européenne, et de l’Espagne, agacés à l’idée que le pays de Tsipras se voie accorder des faveurs auxquelles ils n’ont pas eu droit…
Qui a fait le plus de sacrifices ? La réponse est moins simple qu’il n’y paraît. Elle exige de passer en revue une multitude de critères parfois très subjectifs. Ceux-ci dressent un tableau bien plus nuancé que les jugements à l’emporte-pièce énoncés sur le sujet ne le laissent croire.
« Ajustement colossal »
Tous ces pays ont en commun d’avoir enregistré une terrible récession pendant la crise : le produit intérieur brut (PIB) des pays baltes a reculé de 15 % en 2009, celui de l’Irlande de 6,4 %, de l’Espagne de 3,6 %, du Portugal de 3 %, tandis que celui de la Grèce a plongé de 8,9 % en 2010. Ils ont ensuite entamé des cures de rigueur pour redresser leurs finances publiques. « Les mesures qu’ils ont appliquées ont beaucoup d’éléments en commun », souligne Céline Antonin, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). A savoir baisse des salaires, coupes dans les dépenses, recul de l’âge de départ en retraite…
Résultat : entre 2009 et 2014, le déficit public grec est passé de ? 15,2 % à ? 2,7 %, ce qui représente un effort de 12,5 points de PIB. « Il s’agit d’un ajustement colossal », commente Ludovic Subran, chef économiste d’Euler Hermes. Sur la même période, l’Espagne a concédé un effort de 5,1 points, la Lituanie de 8,6 points, la Lettonie de 6,1 points et l’Estonie, de 2,3 points. Si l’on s’intéresse au seul déficit structurel, c’est-à-dire en éliminant les effets de la conjoncture, la Grèce a là aussi procédé à l’ajustement le plus brutal.
Baisse de 47 milliards d’euros des dépenses publiques
L’analyse se révèle plus délicate en matière de dépenses publiques. A première vue, le pays qui s’est le plus serré la ceinture est l’Irlande, en ramenant les siennes de 47,6 % du PIB en 2009 à 36,1 % aujourd’hui, soit 11,5 points d’effort. Mais la Grèce suit de près avec 9,7 points d’ajustement (? 53,9 % à 44,2 %), comme la Lituanie (43,7 % à 34,1 %, soit 9,6 points), puis la Lettonie (43,4 % à 36,4 %, soit 7 points).
« Mais attention : ces chiffres ne reflètent pas les véritables efforts de la Grèce, car sur la même période, son PIB a baissé de 25 %, un triste record », prévient M. Subran. En valeur, la Grèce a en effet réduit ses dépenses publiques de… 47 milliards d’euros, contre 10 milliards en Irlande et 12,8 milliards en Lituanie.
Après le choc de 2009, les pays baltes ont tranché net dans les salaires et la fonction publique. En Lettonie, le nombre d’agents publics a fondu de 20 % et leurs salaires de 25 %, tout comme en Lituanie. Le traitement des fonctionnaires espagnols a baissé de 5 % en 2010 avant d’être gelé, comme au Portugal, qui a supprimé le treizième mois. La Grèce est le seul pays européen à avoir baissé son salaire minimum (de 680 à 586 euros). Et les rémunérations ont chuté de près de 25 % dans le privé. « La Grèce est également l’un des pays qui a le plus assoupli son marché de l’emploi », commente Mme Antonin. Entre 2009 et 2014, les coûts du travail unitaire réel, corrigé de l’inflation, ont ainsi baissé de 9 % en Grèce, selon M. Subran. C’est moins qu’en Lituanie (? 10 %), mais plus qu’en Irlande et Portugal (? 8 %), Espagne (? 7 %), Lettonie (? 6 %) et Estonie (? 3 %).
Brutale saignée
Athènes fait bien partie des pays qui ont le plus fait de sacrifices depuis 2009. Comment expliquer, dès lors, l’agacement des Lituaniens ou des Espagnols ? Cela tient peut-être au calendrier. « La Grèce est en austérité permanente depuis 2009 alors que les autres ont levé le pied plus vite, en particulier les pays baltes, et surtout, ont renoué avec la croissance », souligne M. Subran. « Nous avons fait autant d’efforts que les Grecs, mais concentrés en une seule année », constate Zygimantas Mauricas, économiste à la banque Nordea, à Vilnius. D’où le sentiment que l’austérité y a été plus profonde.
Après une brutale saignée, les économies baltes ont retrouvé une croissance solide. Le PIB estonien a ainsi rebondi de 8,3 % en 2011, et le Lituanien, de 6,1 %. L’Irlande elle aussi a renoué avec la croissance en 2014 (4,8 %), comme l’Espagne (+ 1,4 %) et le Portugal (+ 0,9 %). Après une timide éclaircie mi-2014, la Grèce a quant à elle replongé en récession. « On touche ici à la spécificité grecque : l’austérité n’a produit aucun effet positif sur l’économie, alors qu’ailleurs, elle a permis aux exportations de rebondir », résume Patrick Artus, chef économiste de Natixis.
Délabré et asphyxié par le manque de liquidité, le tissu industriel grec n’a pas profité de la baisse des coûts du travail pour augmenter ses ventes à l’étranger. « La leçon à en tirer est que la Grèce n’a pas besoin de plus d’austérité : cela ne fonctionne pas », ajoute M. Artus. Comme nombre d’économistes, il juge que la priorité devrait être les réformes structurelles susceptibles de renforcer l’économie, comme la lutte contre les rentes et les mesures favorisant l’investissement.
Source: lemonde.fr
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