En dépit des efforts effectués en vue d’une plus grande intégration économique sur le continent africain, les progrès restent limités. Comment s’assurer du succès des initiatives d’intégration ?
J'aborde un sujet qui me tient tout particulièrement à cœur : l'intégration régionale en Afrique. Et je reconnais que l'équipe de Passerelles a eu une très bonne inspiration en choisissant de revenir sur ce sujet, en faisant le point sur les développements récents dans l'agenda du continent.
L'un des faits marquants en Afrique réside dans la multiplication des projets visant à renforcer l'intégration régionale. Partout à travers le continent, des initiatives sont prises tant par les États que par les communautés économiques régionales (CER) pour relancer le processus de création d'un vaste marché continental, matérialisé par la libre circulation des biens et des capitaux ainsi que l'harmonisation et la coordination des régimes de libéralisation et de facilitation du commerce.
La volonté politique a été exprimée dès 1980 à travers le plan d'action de Lagos, puis renouvelée en 1991 par le traité d'Abuja. En 2012, les leaders africains ont adopté une feuille de route pour la création d’une zone de libre-échange continentale (ZLEC) à l'horizon 2017. Cette dernière fixe des repères dont les plus importants sont la création de la zone de libre-échange tripartite entre le Marché commun de l'Afrique australe (COMESA), la Communauté de l'Afrique de l'Est (CAE) et la Communauté de développement de l'Afrique de Australe (SADC), l'Union douanière ouest-africaine, ainsi que d'autres initiatives de plus petite envergure, dont l'adoption de politiques sectorielles communes dans les domaines du commerce, de l'agriculture, de l'industrie, de l'investissement et de la monnaie.
Le continent africain a connu une très grande fragmentation institutionnelle. Celle-ci a engendré la coexistence et le chevauchement entre plusieurs communautés qui ne partagent pas toujours la même trajectoire administrative, les mêmes objectifs économiques et la même cohérence juridique et politique. Face aux défis que pose ce morcèlement, l'Union africaine (UA) a choisi de ne reconnaitre que huit communautés économiques régionales (CER), qui doivent constituer la charpente institutionnelle de l’intégration africaine : la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE), la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), le Marché commun de l'Afrique australe (COMESA), la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), la Communauté économique de l’Afrique centrale (CEEAC), l’Union du Maghreb arabe (UMA) et la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD).
Mais en dépit des efforts consentis en matière d’harmonisation des CER, les progrès restent encore assez faibles et le rythme de réalisation des projets n’est pas uniforme. Il existe des variations en termes de niveau d’engagement entre les différentes CER. Certaines CER ne sont pas encore parvenues à mettre en place leur zone de libre-échange (ZLE), alors que d’autres en sont au niveau de la ZLE partielle ou de l’union douanière partielle. Toutefois, au-delà des avancées au sein des régions, il existe également des initiatives heureuses et encourageantes qui sont entreprises sur le continent. C’est le cas en particulier du démarrage des négociations de la ZLE continentale, et de la création de la ZLE tripartite entre le COMESA, la CAE et la SADC comme première étape.
Il est maintenant généralement admis que l'intégration régionale peut aller plus loin et plus vite, tant les dirigeants et les citoyens africains semblent désormais convaincus des bienfaits attendus de ce projet, dont l'impact potentiel sur la transformation structurelle et le développement de l'Afrique est à nul autre pareil. Mais au-delà des volontés exprimées ça et là et des déclarations plus ou moins heureuses, il faudra de l'action, du leadership et de la responsabilité pour chaque État.
Ces dernières années ont été marquées par de nombreuses initiatives restées sans suite. Et dans de nombreux cas, ce sont les États eux-mêmes qui refusent d'appliquer les décisions auxquelles ils ont pourtant librement souscrit. L'exemple le plus édifiant est la libre circulation des marchandises et des personnes en Afrique de l’Ouest. Depuis 1979, la CEDEAO s'est doté d'un protocole sur la libre circulation des marchandises et des personnes, renforcé plus tard par un véritable arsenal de règlements et de décisions, dont le Schéma de libéralisation des échanges de la CEDEAO (SLEC) et plus récemment le Tarif extérieur commun (TEC). Il suffit pourtant de voyager entre les pays d'Afrique de l'Ouest pour se rendre compte de la béance de l'écart entre les décisions juridiques et les actes sur le terrain.
De surcroît, pour être couronnées de succès, les initiatives d’intégration demanderont plus que des décisions, quand bien même celles-ci seraient respectées. L'intégration est un construit économique, social, politique et culturel. Pour être durable, elle a besoin de s’arrimer aux processus socio-économiques en cours dans les sociétés et de s'ancrer dans les cultures locales. C'est à ce prix qu'elle fera l'objet d'une véritable appropriation populaire en devenant un élément du quotidien des peuples.
La CEDEAO tente depuis 1982 de bâtir une communauté ouest-africaine des peuples, au-delà de l'institutionnel et de l'économique. Pour cela, elle a adopté la Décision A/DEC du 10 mai 1982 relative à l’application du protocole sur la libre circulation et au programme d’information du public de la CEDEAO. À travers cette décision, la CEDEAO reconnait le droit à l'information des citoyens de la communauté sur les textes et protocoles liés à leurs droits de circuler librement dans l'espace communautaire. Pour donner un contenu plus opérationnel à la décision, et créer ainsi les conditions de son appropriation collective, la CEDEAO a institutionnalisé la Semaine nationale de la CEDEAO, qui doit être officiellement ouverte dans chaque pays membre par le Chef de l'État lui-même. La Semaine nationale doit être organisée par les Comités nationaux de la CEDEAO (Article 2). Dans la même décision, la CEDEAO a préconisé la création de clubs de la CEDEAO dans les pays Membres (Article 4).
Peu de pays appliquent cette mesure et peu de citoyens en connaissent l'existence. Je reconnais toutefois que la mission de construction de l'intégration ne relève pas seulement de la responsabilité des États. Les organisations de la société civile et du secteur privé doivent aussi y apporter leur contribution. C'est pourquoi je suis particulièrement heureux de partager l'initiative récemment prise par le Centre africain pour le commerce, l'intégration et le développement, que j'ai l'honneur de diriger, consistant à ériger des "Maisons des Citoyens de la CEDEAO" dans les villes servant de carrefour d'échange et de lieu de rencontre entre plusieurs pays de la CEDEAO. La première "Maison des Citoyens de la CEDEAO" sera inaugurée à Ziguinchor, ville du Sud du Sénégal, entre la Gambie et la Guinée Bissau. Elle aura un centre d'information et de documentation, qui abritera tous les textes réglementaires de la CEDEAO en français, anglais et portugais, formera les acteurs sur les textes relatifs à la libre circulation des marchandises et des personnes, sensibilisera les usagers comme les agents des administrations sur la facilitation des échanges et verra flotter tous les jours les drapeaux des États Membres de la CEDEAO.
Auteur: Cheikh Tidiane Dieye, Editor-in-Chief, Passerelles (ENDA CACID)
Source: ictsd.org
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