Après d’intenses négociations, les membres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ont finalisé, le 2 août, à New York, un nouveau programme global pour le développement.
Ce document final, intitulé « Transformer notre monde : le Programme 2030 pour le développement durable », identifie une série de priorités pour le développement durable pour les 15 prochaines années. Il devrait être adopté lors d’un sommet onusien qui se tiendra du 25 au 27 septembre, et entrer en vigueur le 1er janvier 2016, succédant aux objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).
« Il s'agit bien là du programme des peuples, un plan d'action pour mettre fin à la pauvreté sous toutes ses formes, de manière irréversible, en tout lieu et en ne laissant personne de côté », a déclaré le Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, après la clôture des négociations. Le nouveau programme de développement « annonce un tournant historique », a-t-il ajouté.
Le document, long de 29 pages, comprend cinq sections : un préambule ; une déclaration contenant des principes et engagements partagés ainsi qu’un appel à changer le monde ; un ensemble de 17 objectifs de développement durable (ODD) accompagnés de leurs 169 cibles ; des moyens de mise en œuvre et un partenariat mondial renouvelé en faveur du développement durable ; et une approche de suivi et d’examen des efforts visant à mettre en œuvre le programme.
Les ODD, repris quasi directement d’une proposition communiquée en juillet 2014 par un groupe onusien spécialisé, ont été élaborés pour relever de manière intégrée nombre de défis globaux, tels que l’élimination de la pauvreté, la réalisation de l’égalité hommes-femmes, l’amélioration de l’accès à l’énergie, la réduction des inégalités, la conservation des océans et la lutte contre le changement climatique.
L’ambassadeur kenyan Macharia Kamau, l’un des deux co-facilitateurs du processus de négociation de ce nouvel agenda du développement, a indiqué que ces derniers mois ont constitué « le dernier tour de piste d’une course incroyable », selon le Bulletin des négociations de la terre (BNT). Les membres de l’ONU ont passé les cinq dernières années à assembler divers processus afin de concevoir une vision de gouvernance globale pour succéder aux objectifs du Millénaire. De nombreux acteurs se sont également efforcés d’attirer l’attention sur les questions environnementales, afin qu’elles se joignent aux priorités de développement au sein de ce nouveau cadre.
Les efforts visant à parvenir à un programme de développement pour l’après-2015 ont souvent nécessité de composer avec des points de vue divergents entre les États. Parmi les questions les plus difficiles dans les dernières phases, on peut notamment noter les discussions sur les moyens de mise en œuvre du programme et la relation de ce dernier avec les discussions dédiées au financement du développement, sur le processus de suivi et d’examen, et sur la manière d’appliquer le principe de responsabilités communes mais différenciées (RCMD) entre les nations.
Commerce et développement durable
Le commerce fait partie intégrante du programme de développement pour l’après-2015, figurant à travers diverses sections. Le commerce est considéré comme un moteur de la croissance qui, avec des politiques d’accompagnement et un environnement favorable, peut également contribuer au développement durable. Selon certains experts, ceci représente un changement par rapport à la place octroyée au commerce dans les objectifs du Millénaire.
Dans un paragraphe qui n’était inclus dans aucunes des versions préalables du document, la déclaration exhorte les gouvernements à s’abstenir de recourir à des mesures économiques, financières ou commerciales unilatérales qui entraveraient la réalisation complète du développement économique et social, en particulier dans les pays en développement. Les outils et politiques liés au commerce sont ensuite répartis entre divers ODD, comme il en avait été convenu en juillet de l’année passée.
En particulier, l’ODD 17 qui appelle les membres de l’ONU à renforcer les moyens de mise en œuvre inclut une section spécifique dédiée au commerce, qui comprend trois cibles. La première d’entre elles concerne la promotion, sous l’égide de l’OMC, d’un système commercial multilatéral qui soit universel, fondé sur les règles, ouvert, non-discriminatoire et équitable, à commencer par la conclusion des négociations sur le Programme de développement de Doha. La deuxième cible vise à augmenter les exportations des pays en développement en vue de doubler la part des pays pauvres dans les exportations mondiales d’ici 2020. Enfin, la troisième appelle à mettre en œuvre des régimes d’accès aux marchés en franchise de droits et sans contingent pour tous les Pays les moins avancés (PMA), conformément à la décision de l’OMC dans ce domaine, ainsi qu’à s’assurer que les règles d’origines applicables aux PMA soient transparents et simples (voir BioRes, 23 juillet 2014).
L’accroissement de l’aide pour le commerce en faveur des pays en développement est l’une des cibles comprises par l’ODD 8, qui appelle à la promotion d’une croissance économique soutenue, inclusive et durable. L’ODD 2 sur l’élimination de la faim et l’accession à la sécurité alimentaire, quant à lui, inclut une cible visant à prévenir les restrictions commerciales et les distorsions sur les marchés agricoles mondiaux. Cette dernière cible fait également référence à l’élimination de toutes formes de subventions à l’exportation et de toutes mesures ayant un effet similaire dans le cadre du mandat du cycle de Doha. Toutefois, certaines divergences dans le domaine de l’agriculture ont été mises en lumière dans les derniers efforts de négociation des membres de l’OMC (voir Bridges Weekly, 30 juillet 2015).
D’autres instruments relatifs au commerce dans le cadre des ODD comprennent le développement d’infrastructures régionales transfrontières, l’élimination des subventions préjudiciables dans le domaine de la pêche, la rationalisation des subventions inefficientes aux énergies fossiles, ainsi que la lutte contre le trafic illégal d’espèces sauvages. Concernant la cible sur les subventions au secteur de la pêche, le document mentionne également que les négociations à l’OMC dans ce domaine devraient prévoir des dispositions octroyant un traitement spécial et différencié pour les pays en développement et les PMA (voir également BioRes, 8 juillet 2015).
La section du document final concernant les moyens de mise en œuvre et le partenariat global, par ailleurs, souligne l’importance d’un environnement économique favorable afin de soutenir les efforts nationaux de développement. Ceci implique qu’au niveau mondial, les systèmes commercial, monétaire et financier soient cohérents et se soutiennent mutuellement.
Dans un paragraphe spécifique de la même section, le commerce international est mis en évidence en tant que moteur pour une croissance économique inclusive et une réduction de la pauvreté, ainsi que comme vecteur contribuant au développement durable. Le paragraphe continue en insistant sur l’importance de promouvoir le système commercial multilatéral et la libéralisation des échanges, tout en appelant les membres de l’OMC à conclure le cycle de Doha au plus vite. L’importance du renforcement des capacités relatives au commerce dans les États les plus vulnérables est également soulignée, y compris dans l’optique de renforcer l’intégration régionale et l’interconnectivité.
Certaines versions antérieures du texte auraient vu, si elles avaient été maintenues, les membres de l’OMC « se résoudre » à parvenir à un accord rapidement dans les négociations commerciales multilatérales. Par ailleurs, un engagement à renforcer la stabilité macroéconomique et financière à travers une meilleure cohérence des politiques a également été abandonné.
Mise à jour des cibles
En juillet, les délégués onusiens avaient été chargés d’aplanir leurs divergences quant aux révisions techniques suggérées pour 21 des cibles proposées. Ces « ajustements », proposés par les co-facilitateurs durant les derniers mois, avaient pour but de supprimer les « X% » en les remplaçant par des nombres, ou d’aligner les cibles avec d’autres engagements internationaux. Néanmoins, une telle entreprise s’est avérée être matière à controverses entre les pays, certains avançant que l’équilibre précautionneusement négocié du document pourrait s’en retrouver affecté. D’autres États, quant à eux, ont soutenu certaines des modifications, mais pas toutes.
Dans le document final, tous les « X » ont été supprimés. À la place, le mot « considérablement » a été introduit – sur recommandation des co-facilitateurs qui ont fait valoir que cela permettrait d’établir une ambition générale, tout en laissant aux pays la flexibilité nécessaire pour déterminer ces nombres d’un point de vue national. Plusieurs révisions mineures ont également été négociées afin d’améliorer la mesurabilité de certaines cibles ou de rendre plus cohérente leur relation avec d’autres processus internationaux.
Une relation complexe
On s’attend à ce que les efforts requis pour mettre en œuvre ce nouveau Programme 2030 pour le développement durable soient considérables, certaines estimations indiquant que 3'500 à 5000 milliards de dollars EU par année seront nécessaires pour son implémentation complète. Certains pays nécessitent une réforme globale de leur réglementation.
La relation spécifique entre le programme de développement pour l’après-2015 et la troisième Conférence internationale pour le financement du développement (FdD3), qui s’est tenue à Addis Abeba du 13 au 16 juillet, et qui a débouché sur un nouveau cadre global pour le financement du développement, a également constitué une pierre d’achoppement dans les pourparlers. D’un côté, de nombreux pays développés se sont déclarés en faveur d’une utilisation du résultat de la conférence FdD3 pour aider à réaliser le programme de développement pour l’après-2015, alors que de l’autre côté, la plupart des pays en développement ont estimé que le processus pour l’après-2015 avait besoin de ses propres moyens de mise en œuvre.
Le programme d’action d’Addis Abeba (PAAA), qui inclut également une section dédiée au commerce, reconnaît le rôle de FdD3 dans le renforcement des moyens de mise en œuvre du programme de développement pour l’après-2015, et identifie un ensemble de questions transversales en vue d’aider à mettre en œuvre les ODD (voir BioRes, 20 mars 2015).
La section Moyens de mise en œuvre (MMŒ) de la version du 8 juillet du document négocié pour l’après-2015 saluait le résultat de la conférence FdD3, prévoyait une annexe pour le PAAA, réservait un espace pour un paragraphe sur le Mécanisme de facilitation de la technologie (MFT) – sur lequel les États se sont accordés à Addis Abeba – et re-listait les cibles relatives aux MMŒ pour chaque objectif dans le cadre des ODD. Après de nombreux va et viens quant à différentes options durant les négociations de la fin du mois de juillet, les parties se sont accordées pour ne pas annexer le PAAA ou re-lister les cibles des moyens de mise en œuvres des ODD, mais elles ont à la place convenu d’un ensemble de paragraphes listant certains engagements afin de mettre en œuvre le programme pour l’après-2015.
La section finale sur les MMŒ indique que le nouveau programme « peut être réalisé dans le cadre d’un partenariat global renouvelé en faveur du développement durable, soutenu par les politiques et actions concrètes prévues dans le Programme d’action d’Addis-Abeba, qui fait partie intégrante du Programme de 2030 pour le développement durable ». Le document ajoute que le PAAA complète et permet de contextualiser les moyens de mise en œuvre et les cibles du programme pour l’après-2015. Enfin, le paragraphe 123 du PAAA sur le Mécanisme de facilitation de la technologie est également reproduit dans cette section.
Suivi et examen
Durant les négociations, les États se sont également montrés en désaccord sur la question de savoir si le processus de suivi et d’examen de l’après-2015 et celui du PAAA devraient être séparés ou intégrés, ainsi que sur la relation entre les efforts de suivi globaux, régionaux et nationaux. Pendant la dernière ligne droite des négociations de juillet sur l’après-2015, les États-Unis, l’Allemagne, la Finlande, le Royaume-Uni, entre autres, ont réitéré leur point de vue selon lequel un seul processus de suivi serait suffisant, une position à laquelle le G77 + Chine s’est opposé.
Au final, la section Suivi et examen salue le processus de suivi et d’examen spécifique au PAAA, qui sera intégré au cadre de suivi et d’examen du programme de développement pour l’après-2015, tout comme les conclusions et recommandations convenues au niveau intergouvernemental lors du Forum annuel de l’ECOSOC sur le financement du développement. D’autres parties de cette section détaillent l’engagement en faveur d’un processus de suivi et d’examen systématique aux niveaux national, régional et global, en fournissant un certain nombre de principes directeurs.
Le suivi des ODD s’effectuera selon un ensemble d’indicateurs globaux complémentés par des données régionales et nationales. L’ensemble d’indicateurs globaux sera développé par le Groupe d’experts interinstitutionnel chargé des indicateurs relatifs aux ODD (GEI-ODD), approuvé par la Commission de statistique des Nations Unies (CSNU) en mars 2016, puis adoptés par l’ECOSOC et l’Assemblée générale.
Le Forum politique de haut niveau sur le développement durable (FPHN), qui se tient sous les auspices de l’ECOSOC, aura un « rôle central » dans la supervision du réseau de processus de suivi et d’examen. Il procédera à des examens réguliers des progrès effectués dans la mise en œuvre des ODD, qui se baseront notamment sur un rapport annuel, articulé autour de l’ensemble d’indicateurs globaux et préparé par le Secrétaire général de l’ONU en collaboration avec le reste du système onusien. Dans des versions antérieures du texte, le FPHN avait été décrit comme l’organe formant « l’apex » du processus de suivi au niveau global (voir Passerelles, 7 juillet 2015).
Dans le cadre de ses examens périodiques, le FPHN encouragera la participation au processus de suivi de la part des pays, ainsi que de la société civile et du secteur privé. Des examens thématiques sur les efforts déployés pour atteindre les ODD, y compris sur les questions transversales, seront également entrepris. Le FPHN s’emploiera à identifier les défis qui émergent et à mobiliser des actions supplémentaires en vue d’accélérer la mise en œuvre du Programme 2030 pour le développement. Enfin, les pays sont encouragés à prendre part à des examens sur une base volontaire, que ce soit au niveau national ou régional.
Responsabilités communes mais différenciées
Dans un contexte marqué par des réalités économiques et géopolitiques en plein changement, ces pourparlers visant à redéfinir les grands axes de la gouvernance globale en matière de développement se sont également avérés compliqués à l’heure d’aborder le principe de responsabilités communes mais différenciées (RCMD). De nombreux pays développés ont fait valoir que le principe ne devrait s’appliquer que dans le contexte de questions environnementales, et qu’il n’est donc pas applicable à l’ensemble du cadre de l’après-2015, une position à laquelle le G77 + Chine s’est opposé.
Originellement inscrit dans la déclaration du Sommet de la terre de Rio en 1992, ce principe établit que tous les pays sont responsables de l’intégrité du système planétaire, tout en reconnaissant que leurs responsabilités diffèrent en fonction de leurs capacités nationales respectives. Il est également utilisé dans le texte de la Convention-cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC).
Le document final réaffirme l’intégralité des principes contenus dans la déclaration de Rio, y compris le principe de RCMD. Par ailleurs, après des négociations prolongées de 36 heures, les délégués sont également parvenus à se mettre d’accord sur une deuxième mention du principe de RCMD, dans l’un des paragraphes dédiés au climat de la section contenant la déclaration. Cette section inclut également un paragraphe dans lequel les États s’engagent en faveur de la conclusion, lors de la 21ème conférence des parties de la CCNUCC, d’un accord ambitieux et universel sur le climat, qui couvrira les questions de l’atténuation, de l’adaptation, du financement, du développement et du transfert de technologies, du renforcement des capacités, et de la transparence de l’action et du soutien.
La question cruciale de la mise en œuvre
Alors que de nombreux observateurs et participants ont acclamé la finalisation du document, considérée comme un « immense pas en avant » en vue de s’attaquer à la question du développement durable pour tous, et en particulier pour les groupes les plus vulnérables et les plus marginalisés, d’autres ont averti que la mise en œuvre sera la clé du succès de ce programme. Nombreux sont ceux qui surveilleront d’un œil attentif ces engagements volontaires, mais néanmoins significatifs d’un point de vue politique, notamment en lien avec d’autres processus internationaux, tels que les négociations onusiennes sur le climat.
Comme certains experts l’ont également souligné, la récolte de données précises et exploitables sera aussi un facteur tout à fait fondamental pour le succès du Programme 2030 pour le développement durable. À cet égard, l’ensemble d’indicateurs globaux devrait désormais devenir le nouveau centre de l’attention.
Rapport ICTSD ; article initialement paru dans BioRes.
ICTSD reporting; “Ban Ki-moon: Sustainable Development Goals ‘Leave no one Behind’,” THE GUARDIAN, 3 août 2015, “Summary of the Seventh and Eighth Sessions of Intergovernmental Negotiations on the Post-2015 Development Agenda: 20 July- 2 August 2015,” ENB, IISD REPORTING, 3 août 2015.
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